Ce numéro rassemble des enquêtes récentes menées sur les espaces urbains centraux et les inégalités qui s’y déploient dans plusieurs villes d’Europe et d’Amérique du Nord. De même que l’évolution des banlieues n’est pas compréhensible indépendamment de la manière dont le « quartier sensible » ou encore les « ghettos » sont devenus des manières naturelles d’appréhender les espaces urbains, de la même manière les quartiers centraux se sont transformés en même temps qu’ils rentraient en grâce sous les figures inversées des « quartiers village », des « quartiers mixtes ». Débarrassés de stigmates désormais attribués sans équivoque aux banlieues (pauvreté, cultures pathogènes, délinquance, sexisme), ils s’imposent comme des espaces modèles, dont la désirabilité en exclut pourtant l’accès à un nombre croissant d’habitants.
L’appréhension de ces transformations requiert ainsi une attention aux dimensions économique, spatiale et symbolique de la fabrication des villes, à travers l’intervention de groupes d’habitants, de journalistes, de lobbyistes ou de promoteurs immobiliers, qui contribuent à façonner non seulement les quartiers mais aussi de nouvelles catégories d’appréhension et d’action. Loin d’opposer des espaces clairement distincts (que ce soit géographiquement, architecturalement ou socialement), les frontières, aussi bien matérielles que symboliques, qui séparent entre centres-villes et banlieues, se renégocient sans cesse. La requalification générale des espaces centraux se construit ainsi à la faveur de longues tendances historiques, d’inculcation d’habitus, de déplacements peu visibles, de circulations fines, d’usages inattendus, de labels multiples et d’extensions géographiques qui n’ont rien d’automatique et méritent enquêtes. C’est la restitution d’un certain nombre que propose ce numéro.