Abel, tu n’as pas changé. Tu étais sur le quai d’en face, à Javel. Tu ne m’a pas vue, pas reconnue. J’aurais pu traverser, venir te parler, mais j’ai les enfants à aller chercher, le dîner à préparer, je ne pouvais pas me le permettre.
Tu sais, j’ai une famille maintenant, un mari adorable, un beau pavillon face à la forêt aux Terrasses de Viroflay. Tu n’a pas idée du nombre d’activités que propose le lotissement. Il n’y a pas que le rami dans la vie, la preuve, on a le calme et la verdure.
J’aurais aimé te poser tant de questions, Abel : tu t’en et sorti, des cartes et des casinos ? Tu as eu des nouvelles du Cercle ? Lea Karsky, Dédé Zouroff, la vieille Céline… Je les avais oubliés, mes gens du Monceau. Et Nelly Henner ? Elle était si belle, la patronne !
J’avais réussi à faire mon deuil de ce temps-là, et par ta faute tout m’est revenu d’un seul coup. C’est malin. Tu sais, depuis que je suis une femme mariée, j’ai arrêté de me ronger les ongles. Je peux les peindre en rouge, si je veux. Pourquoi tu ne m’a pas ambrassée pour de vrai, Abel, avec la langue ?