« Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution. » Cette phrase attribuée à Emma Goldman, dont l’un des camarades de lutte exigeait qu’elle cesse de danser, au motif qu’une activiste ne serait plus crédible si elle affichait sa passion pour la danse, résonne avec nombre de mobilisations sociales des dernières années, marquées par des danses et, plus largement, par des gestes expressifs, circulant parfois sur plusieurs continents. Ce numéro explore la façon dont ce phénomène rejoue les répertoires de la revendication sociale, à travers plusieurs études de cas : Un violador en tu camino et ses reprises de par le monde, Danza del derecho de vivir en paz au Chili, les danses nues des 400 Pueblos au Mexique, le toré dans les luttes amérindiennes au Brésil, la performance « DÉMO » durant le mouvement de Gezi en Turquie, les flashmobs « Danser encore », le twerk dans la rue au cours de manifestations féministes, les tutoriels de reggaetón dans l’espace numérique…
Les articles proposent des outils conceptuels pour penser le rapport du corps à la politique, la vulnérabilité, la non-violence, ou encore le savoir-faire « chorégraphique » des forces de l’ordre. Il s’agit ainsi d’étudier de quelle manière des danses peuvent être efficaces : d’où viennent les gestes qui les composent, que disent-ils et que font-ils ? À quels risques, aussi, leur polysémie ou leur ambiguïté exposent-elles ? On découvre alors que le fait de danser ouvre souvent, dans un mouvement social, de nouvelles luttes, de nouvelles questions, parfois de nouvelles fractures. Tout en montrant que la danse – lorsqu’elle crée des corps alertes et reliés aux autres – peut être une « technique de soi » émancipatrice, ce numéro veut donc mettre au jour les rapports de force, les paradoxes qui la traversent : à quelles conditions – dans les manifestations investissant l’espace public, mais aussi dans d’autres espaces (boîtes de nuit, réseaux sociaux, institutions médico-sociales) – danser peut-il contribuer à transformer le réel ?