Ce n'est jamais sans déplaisir que nous découvrons que ce que nous prenions pour des expressions authentiques de nos incomparables egos, nos goûts, nos jugements «personnels», nos comportements «originaux», nos idées «neuves», nous les partageons en fait quasiment tous avec presque tous nos semblables pratiquement au même moment. Il arrive que nous niions cette évidence : les conformistes, ce sont les autres... Et nous disposons d'une explication ultime. Pensée «unique» ou «commune» : le développement d'une société spectaculaire nous enfermerait dans la copie, nous empêchant d'être les individus que nous sommes de naissance.
Partant d'une analyse d'une série de signes d'époque, des plus minimes et «superficiels» (les traits de nos visages, nos parfums, notre goût culinaire, le design de nos objets, la décoration de nos intérieurs, nos tics de langage) aux plus abstraits et «sérieux» (notre goût en matière artistique, notre conception de l'espace, nos idées), Esprit d'époque entend donner une explication à cet unanimisme. Contre l'idéologie radieuse de l'ère bénie de «l'individualisme démocratique», ce livre montre à quel point nous sommes tous pris dans un réseau étroit de normes, fantasmes et paradigmes qui s'impose à nous. L'originalité ne saurait être une donnée, mais une conquête malaisée, jamais terminée. Déjouer nos «allant de soi», ces associations d'idées machinales qu'établit chaque époque : tel est le seul espoir pour nous d'échapper à notre destin de replicants et de devenir des personnes.