Rien n'est plus dangereux que d'annoncer la fin prochaine du politique. Une telle prédiction ne contribue-t-elle pas à propager l'indifférence, n'incite-t-elle pas les hommes à s'abstenir de juger le monde comme il va ? Or, c'est précisément l'exercice de la faculté de juger qui permet de donner sens à l'événement, et donc, en dernière extrémité, de résister à l'inacceptable.
Kant s'est profondément préoccupé de ces questions, bien qu'à la différence d'autres philosophes il n'ait jamais écrit de traité de philosophie politique. Et c'est à le reconstituer à partir de ses écrits philosophiques, et notamment de la Critique de la faculté de juger, que s'est attachée Hannah Arendt à la fin de sa vie. Ses «Conférences sur la philosophie politique de Kant», qui forment le cœur du présent volume, contiennent les linéaments du troisième volet de La Vie de l'esprit, le juger, que la mort l'empêcha de mener à bien. Ce livre devait être le couronnement de son œuvre, et les pages qu'on lira ici revêtent donc une importance capitale.
Retraçant la généalogie du penser critique depuis Socrate, s'attachant à déterminer les conditions de l'exercice du jugement et ses implications pratiques, Hannah Arendt, à travers cette lecture inédite de Kant, met à l'épreuve sa propre pensée du politique et pose les fondements de ce domaine public que tant de traits du monde actuel conspirent à anéantir.