Nous venons d’entendre à travers toute la fin d’Hamlet un « trop tard » qui semble avoir sens pour toute existence moderne.
Et nous avons donc maintenant à nous demander si ce « trop tard » est bien le constat ultime de l’œuvre, ce foisonnement de significations dont le fond serait seulement cette assertion du non-sens, désespérante. Question inquiète, sur cette plus radicale des réflexions de Shakespeare, et qui fait comprendre, en tout cas, pourquoi Hamlet a si évidemment fasciné, et de plus en plus à mesure que le dehors des phénomènes de la matière se fait davantage l’étouffement des espérances naïves. Comment ne pas se regarder dans un miroir que l’on pressent véridique ?
Shakespeare domine notre pensée parce que cette pensée s’alarme. Mais n’apporte-t‐il, et même dans Hamlet, que des provisions pour l’effroi ? Dans cette tragédie du vouloir être manqué, est-il vrai que les ambiguïtés de la signification ne se totalisent que sans laisser de place à une espérance de sens ? Je ne le pense pas. Je crois pouvoir constater qu’ Hamlet, c’est en fin de compte bien davantage. J’aperçois une dimension de plus, sous-jacente à toutes les autres, dans cette méditation qui avant d’être le texte que nous avons fut une écriture en devenir et le reste.
Y. B.
Yves Bonnefoy est professeur honoraire au Collège de France. Il a notamment publié, dans « La Librairie du XXIe siècle », L’Imaginaire métaphysique (2006), Notre besoin de Rimbaud (2009), L’Autre Langue à portée de voix (2013) et Le Siècle de Baudelaire (2014).