L’irrationnel fait peur. il vient faire irruption dans le cours tranquille des choses pour y introduire le désordre, l’imprévisible, l’inattendu ; parce qu’il sort des cadres établis, il échappe à tout contrôle, à tout discipline ; n’obéissant à aucune règle, il ne saurait être ni contenu ni canalisé. Qu’il prenne la forme du délire, qu’il endosse les habits du fanatisme ou qu’il revête la figure du monstre, il excède en tous domaines les normes de la vie ordinaire, telle que les hommes s’efforcent de la construire et de la maîtriser. Mais en même temps l’irrationnel fascine, intrigue, séduit. Surtout il se présente en maintes circonstances comme un complément nécessaire de la raison : au savant il apporte les ressources de l’imagination ; au politique les élans de la passion ; à l’artiste les richesses de l’inspiration ; au philosophe les mystères de la foi.
« Ne fondons pas, ne laissons pas fonder une religion de la raison », disait Péguy. Dès lors ne faut-il pas, au nom d’une rationalité ouverte, tenter de penser l’articulation de la raison et de son contraire ? C’est cette réflexion qu’ont entreprise une vingtaine de chercheurs et de philosophes réunis par Le Monde, l’université du Maine et la ville du Mans en octobre 1998.