À l'ombre de l'islamisme radical, un autre islam est en train de voir le jour en Égypte, en Turquie, en Indonésie et dans l'ensemble du monde musulman : l'islam de marché. Tissé de compromis pragmatiques avec l'Occident, il s'alimente à la culture managériale, vante la réussite individuelle, prône la réalisation de soi, acclimate les interdits aux impératifs du marketing et de la consommation de masse, et instruit le procès de l'étatisme et des organisations militantes. Transformant les modes vestimentaires, musicales, audiovisuelles et les formes de la solidarité, ses agents (entrepreneurs religieux, prédicateurs télé, coachs spirituels...) ne renoncent pourtant en rien à la rigueur morale et fustigent la pluralisation des modes de vie. Porté par les nouvelles bourgeoisies urbaines, leur idéal préfigure une «révolution conservatrice» comparable en bien des points à celle qui triomphe en Amérique. Loin de «l'islam éclairé» tant attendu, une convergence paradoxale s'affirme le long d'un «axe de la vertu» fondé sur la religion, la morale, les oeuvres et le marché.