Devenu arpenteur du territoire stratifié de la mémoire, Freud fait l’expérience d’un
séisme : les scènes attachées aux réminiscences quittent leur ancrage dans le passé pour exiger une rétribution amoureuse immédiate. Une créature hybride, « Lucifer-Amor », dont le rôle est dit « indésirablement grand », s’est donc invitée d’elle-même dans la scène analytique.
Une défense s’organise contre cet « enfer intellectuel », dans lequel Freud, côtoyant la pensée de Spinoza, croit voir le fruit d’une « fausse liaison ». L’amour serait l’œuvre d’une causalité sauvage posant l’autre comme cause d’une métamorphose de soi. « L’amour n’est rien d’autre que... » : telle est l’opération de « rabaissement » par laquelle Freud, empruntant la formule à Spinoza, introduit la définition de l’amour.
En dépit des risques d’aliénation qui guettent la dépendance amoureuse, Freud n’en décide pas moins de se faire avocat de la cause qu’il attaque : « on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade ».
La formule freudienne fait écho à une thématique racinienne. « Elle veut voir le jour », dit Œnone de Phèdre. C’est sur fond d’interdit de naître que s’imposera l’urgence amoureuse, ouverte aussi bien sur le risque sacrificiel que sur l’impératif émanant de diverses sources: « Vivez. »
De formation philosophique, Monique Schneider, en tant que directeur de recherche émérite au CNRS et psychanalyste, assure un séminaire à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Centrant son investigation sur les origines de la psychanalyse et les héritages sur lesquels elle s’étaie, elle est notamment l’auteur de Généalogie du masculin (Aubier, 2000), Le Paradigme féminin (Aubier, 2004).