La question de l’opinion publique – de sa puissance, de sa mesure et de son contrôle – hante le gouvernement des sociétés occidentales depuis la fin du XVIIIe siècle. Intellectuellement, elle mène au cœur des contradictions de la pensée démocratique. Tout à la fois vénérée et redoutée, écoutée et dénigrée, elle s’est imposée très tôt aux élites politiques et savantes comme une énigme à résoudre autant que comme un risque à domestiquer. Cette « force impalpable comme le vent » qu’évoquait encore à la fin du siècle dernier un publiciste anglais se matérialise aujourd’hui à nos yeux sous la forme presque exclusive du sondage.
Une telle révolution dans nos manières de penser le nombre, en statistique et en politique, n’a paradoxalement jamais fait l’objet d’une véritable histoire. A l’heure où chaque élection importante semble devoir tourner au procès des sondages, ce livre voudrait revenir sur les origines de ce phénomène et comprendre comment cette improbable statistique de l’opinion a fini par s’imposer comme une composante majeure de notre univers démocratique. En exhumant les débats passionnés qui ont jalonné la naissance des enquêtes d’opinion, en revenant sur les pas de ses pères fondateurs, en reconstituant avec précision le récit de l’avènement de cet instrument, en s’interrogeant sur la spécificité du rapport que la France entretient avec les sondages, l’auteur veut inviter à réfléchir aux implications politiques de cette invitation.