« Date : le 28 février 1994. Lieu : une île de Capri. Un hôtel, une table autour de laquelle nous parlons entre amis, presque sans ordre, sans ordre du jour, sans mot d’ordre, sauf un mot, le plus clair et le plus obscur : religion. Pourquoi ce phénomène hâtivement nommé, le " retour des religions ", est-il si difficile à penser ? Pourquoi surprend-il ? Pourquoi étonne-t-il en particulier ceux qui croyaient ingénument qu’une alternative opposait d’un côté la Religion, de l’autre la Raison, les Lumières, la Science, la Critique (la critique marxiste, la généalogie nietzschéenne, la psychanalyse freudienne et leur héritage), comme si l’une ne pouvait qu’en finir avec l’autre ? Le " retour du religieux " se réduit-il à ce que la doxa détermine confusément comme " fondamentalisme ", " intégrisme ", " fanatisme " ? Voilà peut-être, à la mesure de l’urgence historique, l’une de nos questions préalables. »
Jacques Derrida