Comment pourrait-on venir au Bien ou à Dieu par ses propres forces s’ils n’avaient avec le soi humain un lien immémorial ineffaçable, fût-il fragile et souvent oublié, voire méprisé ? Depuis l’Antiquité grecque et biblique, philosophes et spirituels ont médité cette interrogation pour penser la conversion. Au cœur de l’histoire tragique du XXe siècle, malgré l’impuissance du Dieu biblique à se manifester par des signes immédiatement secourables, les penseurs étudiés dans ce livre ont continué de veiller sur ce lien. Se convertir, dans les circonstances tourmentées et parfois abyssales de ce temps-là, ce fut en effet pour eux résister à la fatalité du mal, à l’absurdité et à la défaite humaine. Que leur itinéraire soit essentiellement philosophique avant de s’ouvrir à la mystique (Henri Bergson), qu’il s’accompagne d’une méditation ininterrompue des livres juifs (Franz Rosenzweig) et chrétiens (Simone Weil, Thomas Merton) ou des deux (Etty Hillesum), ils discernent ainsi, peu à peu, comment le plus profond – l’âme ou le soi humain – est habité par le plus haut. Venir à Dieu serait donc bien revenir à Lui dont l’appel en chacun reste vivant, même quand il reste longuement en souffrance. Dans l’optique biblique toutefois, ce revenir ne ressemble pas au retour philosophique de l’âme vers une patrie perdue, il se produit comme un advenir et une promesse.
Catherine Chalier est philosophe, spécialiste du judaïsme. Elle a notamment publié : Spinoza lecteur de Maïmonide, la question théologico-politique (Cerf, 2006), Des anges et des hommes (Albin Michel, 2007), Transmettre, de génération en génération (Buchet-Chastel, 2008), et La Nuit, le Jour (Seuil, 2009), qui a reçu le prix des Écrivains croyants.