Les briseurs de machines
Les « fauchages volontaires » de champs d'OGM par José Bové et ses amis expriment une forme radicale de résistance à un développement technique considéré comme injuste et néfaste. Cette violence a une longue histoire, trop peu connue, qui débute avec les bris de machines textiles dans l'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle sous la conduite d'un légendaire « général Ludd ». Le luddisme est né, et connaîtra en Europe divers avatars pendant tout le XIXe siècle, pour ressurgir aujourd'hui.
Longtemps considérées, tant par les théoriciens du capitalisme que par le mouvement ouvrier, comme des mouvements réactionnaires de refus du « progrès », ces révoltes sont, depuis peu, réexaminées. Les études historiques désormais portent un regard bien moins dédaigneux sur les briseurs de machines ; la recherche économique réinterprète le luddisme comme l'expression d'une alternative à la production de masse choisie par la première révolution industrielle ; une nouvelle critique de la société industrielle, à partir des années 1970, a pris pour cible la mécanisation et l'automatisation ; et des mouvements actuels, comme les fauchages d'OGM, sans se référer explicitement au luddisme, en reprennent les grands thèmes et les modes d'action.
C'est à retrouver cette histoire et à évaluer sa signification sociale qu'est consacré ce livre. Alternant récits et analyses, il a pour fil directeur l'idée que le choix d'introduire une machine ou une nouvelle technologie est un choix politique. Loin d'être neutre, ou inexorable comme on le croit trop souvent, la mécanisation et l'automatisation procèdent toujours de l'exercice d'un pouvoir, au profit d'un groupe humain et au détriment d'un autre.