Lorsque j'ai pris connaissance de ce roman envoyé au Seuil, j'ai été tout de suite frappée par sa force, son rythme, la sobriété incisive de son style sans apprêt ni fioriture, immédiatement en phase avec une réalité qui échappe à tout discours comme à tout commentaire. Un fait est très frappant ici : les motivations des personnages sont tues, omises, comme enveloppées dans la trame secrète d'un destin irréductible à toute interprétation psychologique, à tout jugement moral. Félix tue accidentellement un autre homme à la suite d'une altercation, et se retrouve subitement démuni face à l'absurdité de son acte, l'étrangeté absolue de l'irréparable. Il n'accepte pas le statut de meurtrier que la société veut lui faire revêtir ; il n'accepte pas non plus d'être considéré comme un enfant irresponsable. À vingt ans, c'est encore un adolescent immature, il le sait, mais la force de tuer qu'il trouve en lui est l'indice d'une énergie dont il veut assumer jusqu'au bout les conséquences. Il fuit dans la montagne en attendant son jugement, mais sa fuite, loin de l'ascèse promise, reste un simulacre, empruntant encore les formes juvéniles de la fugue. Il rencontrera dans une auberge Anne, son double féminin, mais aussi son antithèse incarnée : une vraie meurtrière. Un huis clos érotique et meurtrier va naître entre eux, fait de compromis inavouables mais aussi d'aveux sans issue, laissant percer entre les lignes, au détour d'un dialogue anodin, d'une scène muette, la violence sourde d'un destin qui les dépasse.
Émilie Colombani