Un cours de poétique au collège de france (1981-1993)
Ce que j'ai voulu et tenté : poser la question de la poésie en témoin de sa propre époque : analyser pour cela les voies de la création poétique dans de grandes œuvres du passé - reconnues en leur différence grâce aux travaux historiques - mais en observant aussi et d'abord dans l'être qu'on est les circonstances et les démarches - hésitations, aspirations contradictoires, affirmations de valeurs là même où l'on veut que les faits prévalent - du travail auquel on se voue ; reconnaître ainsi, au point d'origine de l'intuition poétique, la parenté de l'entreprise des peintres, des musiciens, des poètes, cordes, chacun, d'une unique lyre ; et comprendre, au terme s'il en est un de l'enquête, la nature et le rôle de cette «fonction poétique» dont on voit bien qu'elle procure parfois assez de sens à la vie pour que celle-ci continue, malgré le peu de réponse qu'elle sait qu'elle doit attendre du lieu naturel renoncé dès l'institution du langage.
Un grand projet ! Mais si vaste, autant qu'ambitieux, qu'il en devenait raisonnable. D'évidence, en effet, il ne pouvait s'agir sur un tel chantier que de relevés préliminaires. [...]
Il y a des esprits qui misent sur le langage, mais il en est d'autres qui sont sensibles d'emblée aux insuffisances et aux leurres de ce langage qu'ils n'en aiment pas moins pourtant - étant peut-être même de ceux qui l'affectionnent le plus, présence blessée, précaire. Et pour ma part je crois que c'est seulement quand on s'attache à lui, et à sa parole, de cette seconde façon, avec soupçon, sentiment de l'exil au sein des mots, et donc nostalgie, élan de tout l'être, exigence, que l'on accède à un sentiment de la finitude qui ouvre - et c'est alors la poésie même - à la mémoire de l'immédiat et à l'expérience de l'unité.
Y. B.