Mallarmé : son nom n’en finit pas d’irradier la conscience littéraire. Une œuvre à la fois mince et d’une profondeur inquiétante. Des poésies dont la radicalité formelle reste sans égale. Des proses qui fascinent autant qu’elles déroutent. Un chef-d’œuvre, le Coup de dés, dans lequel mots et espacements s’ordonnent aux grands rythmes cosmiques. Et pourtant cet adepte déclaré de l’ action restreinte fut aussi poète de circonstance, journaliste de mode, chroniqueur culturel, critique d’art engagé dans la cause de l’impressionnisme. D’un côté, un poète métaphysicien. De l’autre, un observateur des rituels de la vie culturelle et sociale.
Ces deux Mallarmé n’en font qu’un et le pari est ici de montrer que le sens des formes s’est doublé, chez lui, d’un sens des formalités, c’est-à-dire d’une conscience aiguë des ressorts sociaux qui régissent la littérature. L’œuvre se voit ainsi placée sous le signe d’une étonnante réflexivité critique, en ce qu’elle porte à son comble la logique d’autonomisation du champ littéraire moderne tout en problématisant le principe de fiction dont dépend l’enchantement esthétique. Au miroir du texte mallarméen, c’est tout l’univers symbolique l’ayant rendu possible qui se donne à voir, dans un rapport fait de distance et de participation aux cérémonies de la littérature.
Retracer la genèse de l’esthétique mallarméenne, lire de très près les textes dans lesquels celle-ci s’est accomplie, faire valoir à la lumière d’une expérience exemplaire que dans la forme la plus fermée au social c’est encore un principe social de fermeture qui se manifeste, tels sont les enjeux du présent ouvrage, ouvrant aussi la voie d’une sociologie de la littérature avec les écrivains.
Spécialiste de Mallarmé et de la sociologie des institutions culturelles, Pascal Durand est professeur à l’Université de Liège.