Cent ans après la mort de Marcel Proust, le 18 novembre 1922, on n’en finit pas de dénombrer ses contradictions, ses ambiguïtés et ses équivoques. Proust est catholique – « j’aime le catholicisme et je veux l’aimer » – tout en défendant les Juifs ; il se moque de l’antisémitisme, mais fait parfois sien le vocabulaire de Drumont ; se présente comme un « ardent dreyfusard », mais se métamorphose au cours de l’affaire et après son dénouement en un dreyfusard « désenchanté ». S’il condamne le nationalisme de ses amis antisémites comme Léon Daudet ou Maurice Barrés qui taisent sa judéité, il admire sans réserve ou presque leurs œuvres littéraires. Conservateur dans l’âme, fasciné par l’aristocratie, hostile au socialisme et à toute forme de bouleversement social, il demeure aussi sensible, par « atavisme » familial, à l’univers yiddish ou à certains rituels de la vie juive tout en faisant siens les codes culturels, les croyances et les manières de vivre des salons de la haute société chrétienne. C’est alors l’image d’un Juif non-juif qui se dessine.
Pierre Birnbaum entreprend de raconter et de déplier ces ambiguïtés, en suivant pour la première fois l’immense correspondance de Proust en la replaçant dans son contexte politique – de l’affaire Dreyfus à la loi de séparation de l’Église et de l’État jusqu’à la Première guerre mondiale. Loin des personnages de la Recherche, c’est Proust qui révèle ses partis pris.
Pierre Birnbaum, professeur émérite de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est spécialiste de l’histoire de la IIIe République et des Juifs d’État. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Les Fous de la République. Histoire politique des Juifs d’État, de Gambetta à Vichy (Fayard, 1992 ; Points, 1994) et Léon Blum. Un portrait (Seuil, 2016 ; Points, 2017).