Cette réflexion sur l'antagonisme irréductible qui sépare l'Art et la Culture ne doit rien aux circonstances. Elle a accompagné toute ma vie, sauvée et forgée par les artistes. Elle ponctue mon oeuvre depuis 1958 (postface à La Guitare) jusqu'à 2002 (préface des Portes du sang). Je l'ai approfondie dans deux livres consacrés à des écrivains - Dostoïevski, Colette -, et je choisis maintenant d'évoquer le théâtre car la scène, depuis ses origines, démontre les rapports ambigus qui se nouent entre les artistes, l'État et la politique. Si je retrace les parcours passionnés et mouvementés des grands créateurs que furent Jacques Copeau, Charles Dullin ou Louis Jouvet, puis Jean Vilar ou Jean-Louis Barrault, c'est que leurs destins et leurs choix épousent ceux du pays, jusque dans ses défaillances et ses erreurs. Je ne m'interdis par la polémique. Comment l'éviter alors que le sociologisme démocratique entretient la confusion, étouffant la critique, empêchant la révolte ? Au lieu de révéler le scandale que la société du spectacle tente de cacher, les agents culturels s'en font les propagandistes zélés. En dénonçant la complicité qui lie ces créateurs-fonctionnaires aux politiques, je veux rappeler que la liberté de l'artiste ne se sépare jamais de celle du citoyen.