« Par décret des Anges, par les mots des Saints, nous bannissons, écartons, maudissons et déclarons anathèmes Baruch de Spinoza avec toutes les malédictions écrites dans la loi. Maudit soit-il le jour et maudit soit-il la nuit, maudit soit-il à son coucher et maudit soit-il à son lever, maudit soit-il en sortant et maudit soit-il en sortant et maudit soit-il en entrant. » Spinoza a vingt-quatre ans lorsque, en 1656, s’abat sur lui la sentence de la communauté juive d’Amsterdam. Sa faute ? Affirmer que tout l’être est l’être en ce monde, et qu’il n’y a rien au-delà. L’hérésie fera son chemin : deux siècles plus tard, Nietzsche proclamera la mort de Dieu et Freud le primat du désir dans l’homme.
Ce livre nous convie d’abord à saisir cette révolution intellectuelle dans son contexte historique et culturel. La disposition du juif d’Amsterdam à se tourner vers les choses terrestres, sa quête d’un salut séculier, cette tendance à l’équivoque et au double langage , tous ces traits plongent leurs racines dans l’aventure de ses ancêtres marranes, ces juifs d’Espagne et du Portugal convertis de force et pourchassés par l’inquisition. En examinant de près le cas d’autres intellectuels, tant dans les premières années du marranisme que chez les contemporains de Spinoza, Yirmiyahu Yovel montre le caractère récurrent de ces structures et la façon dont elles s’expriment lorsqu’elles quittent le domaine de la transcendance religieuse pour celui de la raison.
La philosophie de l’immanence a bel et bien façonné la pensée moderne. Et c’est à relire Kant, Hegel, Heine, Nietzsche et Freud, ces autres hérétiques, à la lumière de l’œuvre spinozienne que nous invite ensuite ce maître-livre. Qui douterait, au terme du voyage, que la connaissance rationnelle a partie liée avec la dissidence et la critique des religions ?