Écrire sa vie : la phrase est ambivalente. Elle pourrait se comprendre comme le récit, après coup, de ce qui a été, comme un solde de tout compte : raconter le passé de celui (ou celle) qui n’a plus d’avenir ; mais ce pourrait tout aussi bien être l’invention de l’existence et de son sens : raconter le présent et la futur de celui qui raconte son passé.
Cette pratique d’écriture, pour soi et pour ses proches, fut très présente entre le XVe et le XVIIIe siècle, même si elle se réduit aujourd’hui à quelques noms (Commynes, Monluc, Retz, Saint-Simon…). Pendant longtemps les historiens n’ont voulu y lire qu’un regard sur la passé, regard déformé par l’amertume et le ressentiment. Et pendant longtemps les littéraires ont cru bon d’adopter ce préjugé. Ce fut sans doute faute de curiosité. Curiosité pour l’existence même de ces textes (abusivement unifiés sous le terme de « Mémoires »), curiosité pour leur diversité, les circonstances exactes de composition, les utilisations de manuscrits. Curiosité aussi pour les contenus, apparemment impersonnels, mais qui développent les replis intérieurs de l’âme, pour paraphraser le cardinal de Retz. Curiosité encore pour leur proximité avec le monde des collectionneurs (justement appelés alors des « curieux »), et pour les effets curatifs, joyeux et doux de l’écriture. Incitation donc à la curiosité, à la recherche de ces lisibilités perdues, et à (re)lire Marguerite de Valois, le maréchal de Bassompierre, Brienne le jeune, Mme de campan, et les autres.