Ce dossier propose d’aller voir ce qu’il se passe dans ces espaces où les individus passent leur vie à attendre, suspendus à l’espérance d’un changement à venir. De façon documentée, il montre que l’attente constitue l’un des principaux marqueurs de la condition populaire et un espace-temps où se façonne le rapport des classes populaires aux institutions. L’attente relève d’une dynamique de la domination, faite de l’alternance entre des promesses et des frustrations qui précarise leurs capacités de projection dans l’avenir. L’attente se révèle ainsi une ressource de pouvoir pour les instances en mesure de délivrer la chose attendue. Elle représente un levier déterminant de gouvernement et de normalisation des pratiques populaires : loin d’être un temps-mort, elle est scrutée de près, et rythmée par des injonctions sur les bonnes et les mauvaises manières d’attendre. Loin d’être le simple fait d’une carence de moyens, elle peut être entretenue par une mise en suspens de la distribution des avantages sociaux en jeu dans la société.
La démonstration repose sur une analyse comparative de plusieurs politiques de l’attente, définies comme l’ensemble d’activités organisées qui la génère – mise en attente –, la gèrent – gouvernement de l’attente – et la mobilisent comme un levier du pouvoir – gouvernement par l’attente. Elle dégage les logiques de différenciation de l’expérience de ce temps suspendu – waiting– et de la manière dont il est utilisé pour classer les individus et les groupes sociaux – l’organisation du queing. Elle montre ainsi que l’attente est le lieu où se jouent les divisions internes aux classes populaires et où se nouent, par conséquent, des « avenirs de classe » différenciés. Elle cherche, enfin, à comprendre quel rapport à l’État se construit dans cette expérience de l’arbitraire, comment cette épreuve temporelle socialise les administré·es à des formes horizontales de concurrence, et sous quelles conditions elle peut laisser place à des formes d’appropriations stratégiques ou résistantes.