J'ai appris à l'âge de 16 ans qu'un jour je ne verrais plus. Quand exactement devais-je connaître la nuit ? Personne n’en savait rien. Mais mon destin était scellé, de par ma naissance. C'était comme un sort qui m'avait été jeté, en pleine adolescence, sous le sceau de l'injustice. Pourtant, j’ai décidé de ne rien en dire, pas même à mes parents ou à mes amis.
Qu’allais-je devenir ? Vers quel futur me projeter ? Habité par l’angoisse de ce naufrage annoncé, j’ai longtemps cherché mon chemin. Je me demandais que faire de ma vie, quel métier choisir. Un jour, j’ai même frôlé la mort, par distraction.
Ainsi ai-je dû avancer vers le monde inquiétant des ombres et du brouillard perpétuel. C’est ce voyage contraint et forcé – inexorable – que j’essaie de raconter ici, tel un explorateur à la découverte d'un pays dont on ne revient pas. On lira le récit de ces quelques trente années de périple, certes jalonné de moments de dépression et d’amertume mais aussi de rebondissements joyeux, voire de petits triomphes.
Animé par la rage de vaincre et l’amour des miens, je me suis trouvé une route à tâtons. En me cherchant, je suis devenu chercheur. J'ai mis au centre de ma vie la volonté de comprendre les conduites humaines, que les individus se grandissent dans la résistance ou s’avilissent dans la barbarie. Cette passion pour l’homme m’a véritablement « porté ». Elle m'a entraîné à mobiliser toutes mes forces et mes facultés intellectuelles pour « lire », enquêter, voyager, écrire, enseigner. D'où ce parcours qui m'a conduit de la Sorbonne à Harvard puis au CNRS et à Sciences Po.
Désormais, je vous écris depuis ces contrées lointaines de la Grisaille, où je me sens étranger. J'y ai pourtant pris mes petites habitudes. On me demande souvent : « Mais comment vous débrouillez-vous ? » De cette métamorphose, je souhaite aujourd'hui témoigner, après des années de silence et de combat. Maintenant, j'ai le sentiment d'y voir un peu plus clair !
Historien et politologue, Jacques Sémelin est directeur de recherche au CNRS (CERI) et enseigne à Sciences Po. IL est l'auteur notamment de Sans armes face à Hitler (Payot, 1998) et de Purifier et Détruire. Usages politiques des massacres et génocides ( Seuil, 2005) couronné par le Prix Philippe-Habert - deux ouvrages traduits en plusieurs langues.
« "Écrire sur mon envahissante perte de vue, il n'en était pas question."... C'est bien au contraire l'opposé de cette affirmation que nous offre Jacques Sémelin dans ce livre. Ne nous focalisons tout... » Lire plus