Cam a payé les trois cafés, le chausson aux pommes de Marion, et il m'a annoncé qu'on n'allait plus se voir, qu'il valait mieux se séparer pendant un an. Fallait-il vraiment parler de séparation, d'abandon, de rupture, autant de termes qui désignent l'issue néfaste d'une liaison ? Ce sont Cam et Marion qui s'aimaient. Moi, j'aimais leur amour.
J'avais hérité dès le début le rôle le plus ingrat : l'historien du trio, leur futur biographe. Je les avais toujours souhaités ensemble, je les aimais car ils s'aimaient sous mes oreilles et sous mes yeux. Mon plaisir venait de là. Parfois un mot de Marion me suffisait pour passer une bonne nuit, un bout de phrase chuchotée : «Pas pu me retenir, me soufflait-elle ravie, j'ai joui tout de suite. Avoue que c'est nul.»
Pas un rôle facile. «On ne trouverait aucun acteur pour jouer ça, m'avait dit Cam. De toute manière, c'est un faux problème, on n'est pas près d'en faire un film. Un roman d'accord, mais tu n'écris plus de romans, mon pauvre Gilles. Et puis, je suis tranquille, tu n'aurais pas le culot d'écrire sur nous, sur ça.»
Je ne lui ai jamais rien promis.