La neige tombe-t-elle semblablement dans toutes les langues ? Peut-être faudrait-il pour cela que les mots aient de l’une à l’autre de celles-ci les mêmes façons de se rencontrer, de s’unir ou de s’éviter, de se faire grands tourbillons ou légères virevoltes, minutes d’agitation suivies d’instants où le ciel paraît immobile, après quoi ce sont de brusques lumières. Et comme ce ne peut être le cas, si variés étant les idiomes qui se partagent la terre, il est vraisemblable que nos diverses cultures n’ont jamais tout à fait les mêmes neiges.
Chaque langue à son idée de la neige. Et je me pose cette question : ces perceptions de la neige qui peuvent donc être différentes et sans doute même, en des cas, difficilement compatibles – la neige traversée dans l’Himalaya par un moine tibétain aux pieds presque nus, celle de nos enfants à leurs jeux, bien couverts de grosse laine – s’avoisinent-elles, parfois, ont-elles alors les unes avec les autres la même sorte de rapports qu’ont entre eux – très vifs, on dirait confiants – les flocons que rapproche une ombre de vent dans un instant de lumière ? Penchée chacune au balcon de sa propre langue, se tendent-elles parfois la main ?
Y. B.
Yves Bonnefoy est professeur au Collège de France. Il a notamment publié, dans « La Librairie du XXIe siècle », Lieux et Destins de l’image (1999), L’Imaginaire métaphysique (2006) et Notre besoin de Rimbaud (2009).
« Yves Bonnefoy n'était pas seulement l'immense poète que l'on sait, ou encore l'éditorialiste et critique d'art engagé dans le dialogue des savoirs, il fut aussi un grand traducteur et auteur de nombre... » Lire plus