Au cours des vingt dernières années, le monde du travail a changé de planète. Flexibilité de la main-d'oeuvre, précarité des contrats, exigence de qualité totale, déclin de la notion objective de qualification au profit de la «compétence» définie par l'employeur, plans sociaux dans les entreprises rentables, implication et responsabilisation des travailleurs, organisation en réseau, etc.
Une même logique lie toutes les dimensions de cette métamorphose : l'impératif du «flux tendu», sans stocks, sans pause dans la circulation du produit, pousse à l'extrême l'exploitation du temps de travail pour satisfaire des exigences de rendement inédites dans l'histoire du capitalisme. Pourquoi les travailleurs et les syndicats ont-ils si peu résisté, et parfois collaboré, à une mutation qui intensifie le travail sans améliorer sa rémunération ?
La peur entretenue du chômage n'explique pas tout. La sociologie du travail révèle en effet les stratégies et les jeux sociaux déployés par les individus pour sortir du flux tendu, ou le rendre acceptable. Mais cette implication contrainte des salariés participe aussi d'une stratégie délibérée de gestion du travail pour les conduire à internaliser la contrainte de rentabilité, à ne plus concevoir la distinction entre leur intérêt et celui de leur patron. Loin du rapport de domination brute à l'ancienne, le nouveau capitalisme met en place une chaîne invisible, auto-entretenue par ceux-là mêmes qu'elle aliène, une forme de servitude volontaire.
Jean-Pierre Durand est professeur de sociologie à l'université d'Évry où il a fondé le Centre de recherche Pierre Naville. Après avoir co-dirigé Sociologie contemporaine (avec R. Weil, Vigot, 1989, 1997, 2006) il a publié plusieurs ouvrages de sociologie du travail dont L'Après-fordisme (avec R. Boyer, Syros, 1993, 1998) et La violence au travail (avec M. Dressen, Octarès, 2012).
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