« C’était un courriel du capitaine de La Boudeuse, qui naviguait quelque part au large de l’île de Pâques : “Dans quelques jours, nous atteindrons les îles Gambier au sud des Tuamotu. Tu as le sac aux pieds, alors saute dans le premier avion pour Tahiti. Là, tu te dégottes un petit avion pour l’atoll le plus au sud des Tuamotu. Puis tu nous appelles par le satellite pour nous dire où tu te trouves et on vient te chercher…” Ce genre de messages s’adresse à Livingstone en toi ; à ce qu’il y a de meilleur. Le capitaine de La Boudeuse ne télégraphie pas à un veau marin. »
Dans ce récit déconcertant et jubilatoire, Alain Borer nous emmène aux antipodes, sur un océan qui n’a de pacifique que le nom. Cet embarquement pour Cythère (tel est le nom que donna Bougainville à Tahiti) à bord du trois-mâts La Boudeuse (nommé ici LaGerbeuse), lors d’une expédition à la découverte des « peuples de l’eau » consiste tout autant à tout faire pour descendre du bateau.
Invitation au voyage autant qu’à ne pas voyager, Le Ciel & la Carte est une allégorie sur l’enfer et un poème approfondi sur le paradis, une farce hilaro-tragique à surprises multiples qui délivre, au passage, une analyse politique percutante sur les essais nucléaires, ou telle autre, lumineuse, sur l’invention par Bougainville du paradis moderne (« pavé de mai [17]68 »). S’il était un traité de philosophie, ce qu’il est aussi sur les bords, ce mémorable récit de voyage tiendrait en cette seule pensée : « quand est-ce que tout cela va finir ? »
Alain Borer est poète, critique d’art, essayiste, romancier, dramaturge, écrivain-voyageur, spécialiste mondialement reconnu d’Arthur Rimbaud. Récemment, avec le prix Kessel pour son roman Koba (Seuil, 2002), puis le 70e prix Apollinaire pour sa pièce Icare & I don't (Seuil, 2007), il a reçu le prix Édouard Glissant décerné par l’Université Paris-VIII pour l’ensemble de son œuvre