"Si l'acteur Alain Mavon ne s'était pas suicidé dans cette chambre d'hôtel sordide, aurais-je trouvé le courage de dissiper la brume de nos remords en conjurant, par ce livre, le démon de l'oubli ? Si Hugues La Prades, mon ami et mon complice depuis plus d'un quart de siècle, ne m'avait pas incité à reprendre malgré moi toute l'enquête, n'aurais-je pas plutôt laissé reposer ce passé trop douloureux ? Naïvement, je croyais chercher les motifs du suicide d'un innocent, coupable présumé d'une terrible imposture : pourquoi Mavon aurait-il affirmé avoir été déporté ? Pourquoi semblait-il se complaire dans son mensonge ?
Cet innocent, nous l'avons tué sans peine par la campagne de calomnies que nous avons savamment organisée Ugo et moi, preuves à l'appui. Quelles preuves !
Au cours de l'enquête, c'est nous et nous seuls que j'ai retrouvés. Sylviane Mavon, Louise Blois, Frau Mohl, tous ces témoins m'ont renvoyé à ce passé que je fuyais si volontiers : à la Revue grise que dirigeait Ugo, revue dont les locaux auront vu défiler tous les grands auteurs de notre temps, de Mauriac à Bernanos, à l'avant-guerre et à l'occupation, au Doktor Menger et à la collaboration, l'arrestation et le procès d'Ugo, à Malou surtout, Malou ma femme juive trop tôt évanouie dans sa nuit. Un univers d'hallucinations dont ces pages sont le reflet, aussi obscur en vérité que le furent les événements qu'il relate. Car ce livre, l'ai-je réellement écrit ou n'ai-je fait une fois encore que répercuter la voix d'Ugo ?"