Cui-Cui
En savoir plus"Un premier roman joueur et frondeur."
C'est la langue, dans ce premier roman, qui d'abord stimule : écriture inclusive, verlan, anglicismes, abréviation, argots multiples, références pop, tout ça crépite jouissivement et se télescope avec une précision balistique. Une langue au service de ce qu'il y a de plus sombre, le-la narrateur-ice ado, qui se pense au masculin mais que son entourage genre au féminin, subissant des abus de la part de son père. En guise d'échappées, Cui-Cui - c'est le prénom que le personnage se choisit - se passionne pour le militantisme pro-mineur-es, lesquel-les, dans cette France de 2027, ont d'ailleurs le droit de vote. Éloge de la fugue et du collectif face aux toxicités familiales.Avec, aussi, des pages aux délicatesses infinies sur cette ligne floue qui, à l'adolescence, départage l'amitié des désirs. Juliet Drouar, penseur trans et queer, a des essais remarqués à son actif, comme Sortir de l'hétérosexualité ou La Culture de l'inceste, codirigé avec Iris Brey. Ces champs de recherche, Cui-Cui les agrège, ce qui, à cette fiction de rébellion, infuse une singulière densité.
« Cui-Cui », c'est le titre trompeusement léger du premier roman de Juliet Drouar et c'est aussi le nom de guerre que se donne son personnage principal. Ses parents, ses profs, ses amies, tout le monde parle de « Cui-Cui » en disant elle, mais l'ado de 13 ans préfère se genrer au masculin.
Juliet Drouar s'est déjà fait remarquer avec « Sortir de l'hétérosexualité » (Binge) et l'ouvrage collectif « la Culture de l'inceste » (Seuil). « Cui-Cui » prolonge sa réflexion sur les violences sexuelles et transpose son propos dans la France de 2027. Spoiler: c'est la même qu'aujourd'hui en un peu pire. Les mineurs ont le droit de vote, mais ne sont toujours pas écoutés, et « Cui-Cui » ne sait pas à qui confier ce qu'il endure. II se mure dans un silence anxieux face à Madame Gisèle, sa prof pleine de bonne volonté mais démunie, et il n'ose pas s'ouvrir à Leïla, qu'il aime en secret. Son corps fragile, couvert d'eczéma, parle pour lui.
Comment dire la peur qui le transperce quand il entend les pas de son père dans l'escalier ? Comment raconter le sentiment de dissociation qu'il éprouve ? II ne trouve pas les mots. Pourtant, il a une voix unique, mélange d'argot désuet (« zieuter », « zigotos ») et d'anglicismes contemporains. Une sorte de « Zazie dans le métro » queer. A travers « Cui-Cui », ce sont tous les enfants victimes d'abus qui nous parlent dans ce texte bouleversant, tendre et politique. D'utilité publique.
TTT. La vie au collège. Un monde entre Miel Pops et Chocapic, mais où la classe, "c'est “1,2, 3 soleil!” version SM". Un monde dont les habitants sont des ados "comme les oiseaux avant l'orage, accroché-e-s en guirlande sur le même câble électrique"; le narrateur, qui pourrait tout aussi bien être une narratrice ; ses copines; sa soeur; sa mère et son père. Un type qui met la "boule dans l'estomac" quand on l'entend monter l'escalier vers les chambres...
La planète sur laquelle nous invite Juliet Drouar est un brin déroutante, mais fait de son premier roman un intrigant objet littéraire, stimulant à bien des égards. Son style, d'abord, excelle à épouser la langue, le ton et les références des ados ("wo tema les ch'veux bleus, c'est La Vie d'Adèle", "genre si une meuf s'habille comme un bonhomme", "je paranoïe", etc.), avec la fidélité mais aussi le recul de ses 38 ans. Il installe ensuite l'inclusivité dans l'écriture comme dans la fiction. Le genre du narrateur-rice est fluctuant du début à la fin et l'écriture inclusive coule assez naturellement dans le fil du récit ("nous voilà toustes en tas devant la salle 29", "iels arrivent à la queue leu leu dans un silence de mort"). Enfin, Juliet Drouar parvient à faire de son expertise de terrain la pâte de son roman. Art-thérapeute, militant queer et chercheur à propos des questions de domination de genre et d'âge, il bâtit une fiction solide sur des sujets hautement inflammables, à faire hurler les anti-woke. Qu'il aborde les droits des mineur-e-s en imaginant une élection présidentielle fictive (le 15 mai 2027 !) à laquelle participent les collégiens ou qu'il montre la difficulté de parler et de recevoir la parole concernant l'inceste, son propos vise toujours juste.
« A 13 ans, Cui-Cui , c'est le blaze qu'iel s'est donné. En effet, Cui-Cui se pense masculin, alors que son entourage la genre au féminin, s'intéresse à la politique depuis que les mineur.es ont le droi... » Lire plus
« Oui, c'est un roman dérangeant, déstabilisant. Oui, la langue des ados est difficile à saisir au début (pour avoir écouté des groupes de collégien.nes dans le métro sans rien piger à ce qu'iels disai... » Lire plus